La fin d’un monde, celui qu’annonce Carrefour

Le 15 juin 1963, Carrefour ouvrait son premier hypermarché à Sainte Geneviève des bois dans la région parisienne. Ainsi commençait une aventure qui allait profondément changer la France. Le succès, très vite au rendez-vous, entrainera des conséquences gigantesques sur la géographie française. Il a beaucoup été dit sur cette histoire, j’en retiendrai l’affrontement entre les tenants des prix bas, toujours plus bas en faveur du consommateur et ceux qui dénoncent la destruction de l’industrie française, du commerce local, et en définitive des emplois.

Pour ceux-là,  la consommation à quel prix?  Pour nourrir cette consommation concurrentielle, les hypermarchés se détournent de la production française, vont chercher ailleurs, créent l’Usine chinoise, et celles des pays à très bas coût de main d’œuvre. Des pays qui n’offrent pas les salaires et les avantages sociaux  de la France. Les bas prix ont un prix que personne alors ne prend en compte. Pourtant très vite les effets se font sentir, fermeture d’abord des usines textiles du Nord, tout le tissu industriel français suivra.

Etrangement, les mêmes qui perdent leurs emplois se précipitent faire leurs courses à l’hypermarché, y achètent les produits importés, se frottent les mains de pouvoir remplir toujours plus leur chariot grâce à ses produits dont les prix ne cessent de descendre. Ils semblent ne pas faire le rapport entre l’un et l’autre. Les hypermarchés auront deux défenses, répondre avec ces immenses surfaces à la demande du consommateur, développer l’économie en accélérant les ventes. Est-ce vraiment un avantage? A quoi cela sert d’augmenter la consommation si cela ne profite pas à l’emploi?

Un monde disparaît, celui-là qui a vidé les usines, les centre villes sans aucun remords, avec un cynisme et une efficacité remarquables. Il disparaît devant encore plus destructeur, celui du magasin en ligne, sans salariés ou presque, et nous lui achetons sans savoir ce que nous faisons. Quand le consommateur deviendra-t-il un citoyen conscient de ce qu’il fait, de ce que son geste entraine ?

 

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Une bonne année

Nous nous souhaitons traditionnellement ces vœux : santé, amour, argent. Santé, parce que lorsqu’on a la santé, on peut profiter de la vie. Amour, parce que nous avons besoin de ce sentiment pour ressentir la vie comme pleine. Argent, parce que celui-ci nous permet d‘avoir ce que nous voulons dans la vie. Alors ces vœux que nous échangeons sont aussi nourris d’espoir.  Et de croyances, l’argent ne fait pas le bonheur, mais y contribue, l’amour ne dure pas, mais qui n’y aspire pas au moins un temps – mais qu’est-ce que c’est l’amour?- quand à la santé, une évidence : être malade, souffrir, avoir des fonctions réduites, n’est souhaité par personne. Et surtout pas pour soi. Voilà donc les trois clefs du bonheur!

Je n’irai pas les remettre en cause, parce que probablement j’y aspire moi aussi, plus ou moins: avoir tout ou partie de ces trois clefs m’apporteraient joie et sérénité. Un corps fonctionnant comme une belle mécanique huilée, un cerveau puissance maximum, enfin un pécule me permettant de voir venir et plus, un cœur plein de chaleur et d’échanges avec l’autre. Les trois vœux de la lampe d’Aladin. Tiens Aladin, tiens le paradis terrestre, tiens la pomme, le fruit défendu, cela me rappelle que je ne me contente jamais de ce que j’ai, que je veux toujours plus, que le désir et l’envie sont les deux mamelles de l’amour et de l’argent. Reste la santé. Ne servirait-elle qu’à porter ce corps jusqu’à sa fin inéluctable?

La bonne nouvelle, c’est un américain qui a fait fortune dans les logiciels, qui nous l’apporte. Il crée un dieu enfin sûr et certain, celui de l’Intelligence artificielle. Un dieu sans envie et sans désir, un dieu parfait, un dieu au-dessus des hommes – créé par eux quand même!- un dieu qui aurait l’éternité avec lui et qui la donnerait aux hommes. L’aspiration définitive, parce que pour profiter des trois vœux précédents ce serait bien aussi de ne pas mourir. Gageons que cet américain y croit, et qu’en plus cela va lui faire gagner de l’argent. Bonne année!

ps attention, Dieu ou dieu échappe toujours à l’homme…

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La trêve des confiseurs

Une première chose dont nous sommes sûrs en cette période, c’est de la présence des confiseurs à chaque coin de rue, et sur Internet évidemment qui envahit nos vies sous toutes ses formes: ici même, dans ce blog, sur le site des Editions Montparnasse qui vous informe et qui répond à vos commandes nombreuses ces jours-ci.

La trêve bienvenue est plus difficile à cerner. Le monde est en guerre, les journaux nous le rappellent. Etrange Une du Journal du Dimanche Ces djihadistes qui seront bientôt libres, et d’enfoncer le clou : 70 à 80 condamnés pour terrorisme seront libérés dans les deux ans. Avait-on besoin de cette information le dimanche de Noël? A quoi sert-elle ? N’y avait-il pas un autre message à envoyer ce jour-là? On ne pouvait pas démontrer de manière plus éclatante le coté anxiogène des médias, et aussi le manque de nuances du média. Combien y a-t-il dehors de terroristes que nous ignorons? bien plus, alors au fond nous pouvions nous passer de cette Une?

J’aurais pu en imaginer une autre : avènement il y a un peu plus de deux mille ans d’un enfant messager, un enfant nommé Jésus qui veut parler d’amour et de bonheur. Etrange, croyance ou mythe, c’est une des plus fortes histoires de l’humanité et le JDD passe à coté. Même Le Monde qui n’est pas particulièrement enamouré de cette épopée y consacre une page, avec il faut le dire non pas Jésus en héros mais Noel, une croyance décrite par Claude Lévi-Strauss en 1951 ici et ailleurs. Lévi-Strauss salue le mythe comme fondateur des civilisations. Aujourd’hui nous aimons mieux ceux des autres que les nôtres. Nous aimons mieux, comme ce chercheur du CNRS dans le même journal,  Bouddha, Allah que Dieu. Mais Noel, c’est un enfant, un message porté par un enfant dans une crèche, pas autre chose et si nous ne le savons pas, autant rester chez soi, arrêter les cadeaux, les dindes et autres débauches de consommation. D’ailleurs Jésus aurait-il aimé tout cela?

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Un silence étonnant

Cela s’est passé ce samedi 9 décembre alors qu’un corbillard abordait l’entrée de la rue Royale, il devait être près de 13 heures.  Je changeais de chaîne parce que sur celle sur laquelle je regardais la cérémonie, les journalistes  ne cessaient de dire  » quel silence, c’est incroyable, et évidement on ne pouvait l’entendre, ce silence.  Oui, près d’un million de personnes ne chantaient plus, ne dansaient plus. Un respect « religieux » s’était emparé de la foule, un respect qui durera tout au long des heures qui suivront. Lenteur des gestes, des rituels. Même les 4 guitaristes à l’intérieur de l’église de La Madeleine auront une forme ritualisée des morceaux qu’ils déclineront au fur et à mesure que Carole Bouquet, au moment de la Prière universelle, terminera chaque prière par Prions et qu’ils s’empareront de la résonance qui fera envoler la prière.

Je n’étais pas un fan de Johnny Hallyday. Je préférais le blues, Jacques Brel et bien d’autres, et ce matin j’étais saisi par la ferveur de l’air, par le silence entre les mots, par le silence dans les mots. En accueillant le corps, le Père Benoit de Sinety faisait émerger une nouvelle voix au chanteur, celle de l’esprit, en accueillant l’ami, les écrivains Phillipe Labro et Daniel Rondeau imposaient une nouvelle image, celle de l’esprit. Tous ceux qui suivront feront entendre une autre voix : la France des profondeurs surgissait à chaque instant, s’imposait aux célébrités qui n’en étaient plus, tous anonymes devant le mort qui ne l’était plus. Ceux de dehors étaient avec ceux de dedans, l’immense photo de Johnny surplombait le ciel, une seule croix au cou venait rejoindre celle de Laetitia Hallyday, c’était la même, la sienne, la leur.

Un autre mot, une autre image résonnaient en moi, celui d’une beauté improbable, une beauté d’un moment ou nous étions tous touchés par la grâce, la grâce de la vie de l’homme fils de personne,  plus jamais seul, parce qu’il croyait dans la vie, même au pire instants de cette vie, parce qu’il parlait de la vie au-delà de la mort. Cette beauté que trop souvent nous refusons, qui trop souvent nous est refusée, et qui ce matin était là, simplement là. Merci Johnny, pour cela.

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Du caractère

Margot, l’ainée de mes petites filles, a 11 ans. Elle est vive, intelligente, répond au quart de tour. Elle est de sa génération, qui n’a pas encore d’appellation. Elle viendra après les générations x, y, z . Les x sont celles des années 60-80 d’avant internet, enfants des baby boomers, nés dans l’abondance, ils découvrent la crise, la saturation par les médias, la perte des valeurs religieuses, les y, nés entre 80 et 95 ( prononcez why) est la génération d’internet, les y sont les digitales natives, travaillent dans la précarité, quand au  z, nés après 95, ils sont comme dans des poissons dans l’eau des 4 C: communication, créativité, connexion, collaboration. Ils préféreraient l’image au texte, agir que regarder, les influenceurs aux célébrités.

Quand Margot aura 20 ans, quelle lettre puisque z est la dernière de l’alphabet ? Si la génération z n’est pas celle qui s’installera définitivement – et pourquoi le ferait-elle?- Peut-être repartirons-nous au début ou bien choisirons-nous f pour féminin.  » On sait que ce siècle nouveau sera celui du féminisme » écrit dans sa chronique du Point, daté du 30 novembre, l’écrivain Kamel Daoud. Des mots étonnants, bienheureux pour nous les hommes. Kamel Daoud donne un titre à son billet  » Guérir le masculin ». Kamel Daoud appelle les hommes à faire un chemin personnel, initiatique de guérison du masculin. En évoquant le combat actuel des féministes, ce qui est la violence faite aux femmes par les hommes, il parle de sa découverte du portrait en creux de son aliénation et de ses conditionnements, comme homme issu aussi du monde dit « arabe », mais Hollywood et le reste nous parlent à nous les hommes. Kamel Daoud s’adresse à nous tous, sans exception.

Il m’a fallu, dit-il, des années pour ( et le chemin est encore long) pour entrevoir la guérison, saisir que ma liberté est conditionnée par le désir sain, le corps guéri et la féminité réhabilitée. Kamel Daoud, comme écrivain, appelle encore, à des textes d’hommes parlant de ce chemin, de leur « guérison », de la redécouverte du masculin sain en eux. Il nous faut des textes pour guérir le masculin, lui donner raison, contrer le sinistres des « affaires » par la possibilité de la rencontre. Le roi de Schéhérazade est un affreux tueur en série, mais peut-on sauver leurs enfants?

Génération f, oui pour que Margot ait cette possibilté de la rencontre du masculin guéri et de la féminité ressuscitée. Quelle chance, Margot!

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La France défigurée

Les plus anciens des lecteurs de ce blog peuvent se souvenir de La France défigurée, cette émission de télévision de la fin des années 70 ( de l’autre siècle évidemment) qui dénonçait chaque semaine la destruction du patrimoine et du paysage. Zones pavillonnaires ou industrielles, ZAC, hypermarchés aux périphéries des villes, panneaux publicitaires en pleine campagne, châteaux d’eau surplombants le paysage, pilonnes électriques, l’émission de Michel Péricard et Louis Bériot avait l’audace de s’en prendre à toutes les institutions, maires, conseillers généraux, ministres, aux puissants, groupes immobiliers, patrons d’hypermarchés etc… l’émission a duré quelques années, puis a disparu. Elle était trop dérangeante, elle allait trop contre les croyances du Progrès, de la modernité, de la croissance.

Près de 40 ans plus tard, les ravages de ce progrès n’en finissent pas. Le bitume progresse, recouvrant les terres agricoles. Les hypermarchés ont tué les centre villes avec la complicité active des maires, les ZAC s’étendent sans cesse, le plus souvent sans créer d’emplois, les autoroutes, qui nous permettent d’aller si vite ( comme le TGV), polluent par le bruit et la coupure qu’elles infligent à la nature, et maintenant s’y ajoutent les éoliennes, monstres si bien dépeints par Jean-Christophe Ruffin dans son Voyage à Compostelle, et surtout aujourd’hui, les entrepôts de logistique. Ces derniers, de plus en plus gros, de plus en plus nombreux,  recouvrant aux portes des villes ou en pleine campagne, des terrains stratégiques pour distribuer, stocker, et créer toujours plus de croissance et de profits. Recouvrant des terres agricoles, de la bonne terre,nourricière.

Et l’essentiel dans tout cela? La nature, le champ, le bois, les arbres, les animaux, les oiseaux, le silence, la beauté, le regard, l’air que l’on respire, le silence de la nature qui se nourrit de bruits « naturels »,  ce silence qui n’est jamais rien, qui donne à l’homme le sens de sa vie passée, présente et future ? Des écrivains ont parcouru ce pays, citons après Ruffin , Sylvain Tesson sur Les chemins noirs parcourant la France, racontant la destruction, les ravages de l’industrialisation.

L’autoroute a remplacé le Voyage avec un âne de Stevenson. Aller vite, détruire vite, consommer plus, toujours plus. Quelques jours en Périgord m’ont rappelé encore plus la nécessité de stopper cette course démente et stupide. Je lisais qu’en trente ans, 80% des insectes avaient disparu, je cherchais les oiseaux qui ne se comptaient même plus sur les doigts de la main. Et puis je voyais passer tout à coup, précédés de leurs cris, des vols de grues, là haut, à quelques centaines de mètres. Je sentais leur liberté, leurs efforts, je regardais- nous regardions, éblouis, les grands oiseaux, leurs ailes déployées, battant vers le sud, vers l’Afrique, les bords du fleuve Sénégal. Je regardais ce miracle, celui qui vivait encore d’une migration: vol en V, vols solidaires, ou l’une succédait à l’autre pour mener la tête, ou l’effort était scandé par le cri qui se répondait, relayant la route de la vie.

Là, dans le bois proche de la maison, il restait celui de la chouette, le soir alors qu’une demie lune ouvrait, dans les arbres, une éternité. Jusqu’à quand? Je voulais être optimiste. Je me disais que la nature l’emporterait toujours, quelque soit la folie de l’homme…

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Regards sur le monde

Je reprends aujourd’hui ce blog après 8 mois d’absence. De ce bureau du 14° où pendant trente ans j’ai piloté les Editions Montparnasse. Je ne suis plus le pilote, remplacé à la barre par Dominique Vignet. Ce fût une décision commune, moi de me retirer, lui de la reprendre. Dominique m’avait demandé de continuer ce blog. Je n’en avais plus envie. Et puis à la fois devant l’amitié de ses demandes, de voir encore Montparnasse continuer, trouver un nouveau souffle, de m’attacher à Carnets Nord, l’ancienne filiale de livres de Montparnasse, de continuer à partager ses locaux, oui cela m’incite vous parler à nouveau. De l’air du temps, des éditions, des rencontres, des joies, des colères parfois, des surprises toujours.

Je commencerai aujourd’hui par des rencontres. Des rencontres qui font du bien.

Le cinéma déclenche une tempête, plutôt un homme du cinéma déclenche une tempête, un ouragan dont les lames de fond ne cessent de grossir. Je veux parler d’Harvey Weinstein, le producteur américain qui harcelait sexuellement les actrices.

Nous connaissons tous son histoire, relayée par tous les médias, par les blogs, tweets, etc…Ce dont j’ai envie de parler,  ce sont des femmes qui m’impressionnent au milieu de cette mêlée, qui prend parfois allure de curée. Difficile d’être un homme dans ces moments, difficile de s’exprimer comme homme. Nous sommes indéfendables, inaudibles. Donc merci à ces femmes, non pas de voler à notre secours, mais en parlant d’elle de nous rappeler que des hommes existent qui ne sont pas seulement des Harvey Weinstein en puissance, ou au petit pied, tout aussi ravageur.

La première est une actrice française, Juliette Binoche, qui dans un entretien avec Franck Nouchi, dans le Monde du mardi 24 octobre ne cesse d’exprimer la justesse, la finesse, la force : « en s’approchant d’un tel pouvoir ( Harvey Weinstein) , il faut savoir ou on met  les pieds et éveiller son intelligence à ne pas se faire piétiner »  et sur l’influence qui soumet : je n’ai jamais mis la parole de mon agent avant la mienne. j’écoute, mais je n’obéis pas. »  Juliette Binoche analyse ses propres sentiments, les renforce, regarde les hommes, leurs faiblesses. Et les femmes. : il existe un autre pouvoir, celui qui est au-delà de sa volonté et de ses propres désirs, mais qui passe par une descente en soi, et c’est cet autre pouvoir qui est passionnant, car il conduit à l’oeuvre et à ce qui s’oeuvre en soi. »

L’actrice française Juliette Binoche n’est pas n’importe qui. Elle regarde, réfléchit, mouline, il en sort la conscience et la présence. C’est son immense force. Elle n’est pas la seule. Nancy Huston, au Salon du Livre de Francfort, dans une remarquable réponse à l’écrivain Patrick Chamoiseau ne dit pas autre chose :  » l’inhumain humain », ou encore: «  nos pulsions archaïques sont toujours présentes ». Combattre ces pulsions, c’est l’objet aussi de la culture, de la civilisation. Dans un autre entretien, cette fois-ci sur Arte, avec l’écrivain Kamel Daoud, Leila Slimani parle de la misère sexuelle au Maroc. Je retiens une phrase : » si on disait aux mères : au lieu d’apprendre à vos filles qu’elles sont une proie, apprenez à vos fils à ne pas être prédateurs, ce serait un grand pas ». Leila Slimani parle de tradition, de transmission y compris par les femmes, pas simplement de pulsions archaïques.

Je finirai par deux femmes, Natacha Polony dans le Figaro de samedi dernier. Dans son Éloge de la virilité – qui condamne tout agression sexuelle, tout viol, tout comportement de pouvoir- elle plaide pour l’homme normal, un homme courtois, prévenant, qui ouvre la porte  de la voiture pour laisser entrer une femme, lui dit qu’elle est belle et ne se transforme pas en agresseur sexuel. Maya Kadra signe une tribune dans Libération de ce jour : Balance ton porc? Non merci! elle renvoie à la violence archaïque qui se fait justice. Cette violence qui s’exprime ,pour elle, dans le courant médiatique et se substitue à l’Etat de droit, qui ramène les femmes qui y participent, à nier la violence qui leur est faite pour être elles-mêmes dans celle de l’agresseur.

Bonne semaine!

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Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage…

Nous connaissons tous ce vers qui sonne comme un refrain, celui qui nous permet de nous imaginer parfois comme un Ulysse traversant la vie mouvementée et riche avant de retrouver sa Pénélope, ou son village. (1) Tout ceci pour l’appliquer, sans regrets, au beau voyage commencé il y a près de trente ans- en 1989 très exactement- et qui pour moi s’achève ces jours-ci. 28 ans que j’ai créé cette maison d’éditions, 28 années passionnantes, faites de découvertes, de rencontres, d’inventions, d’idées, de joies, de tristesse parfois, de difficultés encore, dé déceptions rarement… les coups malheureux existent, les soutiens enthousiastes les font oublier, les rencontres sont là et si ceux qui s’en vont assombrissent un moment nos pensées, jamais les belles rencontres ne disparaissent.

Hier, aujourd’hui et demain. Je transmets le flambeau pour qu’un sang nouveau enrichisse cette maison. Pour que de nouveaux projets voient le jour, pour que l’évolution nécessaire soit entreprise. Un nouvel actionnaire, un nouveau dirigeant, mais aussi la continuité avec ceux qui sont encore là, et travaillent à vous faire découvrir les éditions de documentaires et de films. Le DVD est un objet aux multiples qualités, mais le piratage, le téléchargement gratuit, le « replay », la multiplication des moyens de visionnage, le temps passé devant son mobile réduisent peu à peu son usage. Les offres répétées à bas prix aussi, tuant la valeur, le désir attaché à l’oeuvre.  Il faudra reconstituer ce regard, lui redonner sa noblesse.

28 ans ! imaginer, convaincre, c’était hier, De Nuremberg à Nuremberg en 1990, convaincre les acheteurs d’une chaîne d’hypermarchés de vendre des cassettes vidéos, 3 heures d’images en noir et blanc. Impossible, disaient-ils. Ils ont quand même essayé et ce fût un immense succès. 1990 encore, un article d’un journaliste dans un célèbre hebdomadaire culturel évoque la diffusion à minuit de 8 documentaires sur la peinture. C’est Palettes d’Alain Jaubert. Et c’est ici chez ce petit éditeur indépendant que les idées firent de Palettes très vite un succès éditorial et commercial qui dure encore. Le hasard, la chance, le destin. La formule s’attache aux hommes et à leurs projets. Un rencontre avec Jacques Perrin pour un autre projet me permet d’évoquer celui consacré à une idée loufoque: filmer les insectes qui grouillent dans une prairie. C’est Microcosmos, un pari formidable, une belle réussite à laquelle nous participons.

Je ne vais pas vous faire toute l’histoire de Montparnasse. Vous êtes nombreux à l’avoir faite avec nous. Le pari d’une technologie balbutiante et encore inconnue en Europe, le DVD, les choix éditoriaux, l’Abécédaire de Gilles Deleuze, les grands classiques du cinéma, le Geste cinématographique avec les films de Jean Rouch, entre autres. La Comédie-Française, Apostrophes de Bernard Pivot. Nous luttâmes contre les « gros »: la concurrence faussée qui enlevait en un instant des années de complicités affectives et intellectuelles, parce que c’était suicidaire de lutter contre ceux qui détenait la source du pouvoir, l’argent de la diffusion télévisée.

Mon dernier pari a échoué. Celui de réussir l’avenir avec un site de vidéo à la demande. Nous avons imaginé, construit, lancé ce site. Les Manufactures, 12 thématiques, le concept « Un film, un ami », 400 000 fans Facebook. C’était beau, séduisant, cela avait nécessité une énergie remarquable d’une dizaine de jeunes informaticiens et concepteurs. Une décision politique portait le coup de grâce à notre projet. En 2012, la nouvelle ministre de la culture, Aurélie Filippeti, en annulant la menace de suspension de la ligne internet pour les pirates, »tuait » brutalement la VOD dont la croissance était alors à deux chiffres. En quelques mois, le chiffre d’affaires de la VOD devenait négatif. Le piratage était reparti, nos investisseurs se détournaient du secteur , et de notre projet. Avec le piratage, la gratuité sur internet s’imposait. Les coûts de réalisation, de numérisation, de mise à jour continuelle des technologies ont rattrapé les possibilités financières de l’entreprise. Seuls ceux qui s’appuyaient sur un groupe ou bénéficiaient massivement des aides européennes et françaises pouvaient survivre.La réalité enterrait l’utopie, mais faisait aussi disparaître les moyens de vous proposer des éditions enrichies. Aujourd’hui, Netflix impose son modèle. La globalisation rétrécit l’imaginaire, réduit la proposition inouïe de l’imaginaire.

28 années de travail, d’amitiés, à l’intérieur et à l’extérieur. A l’extérieur, ils sont trop nombreux pour les citer, vous les retrouverez sur les affiches et couvertures de nos éditions, au dos des DVD, ce sont les auteurs, les réalisateurs, les producteurs, avec un coup de chapeau particulier à ceux-ci plus dans l’ombre que les premiers. Produire est parfois ingrat, souvent risqué, toujours difficile. Les producteurs sont des courageux. Merci à eux. Merci aussi à tous ceux de la chaîne de production et d’éditions du DVD. Et puis merci à ceux qui ont oeuvré à Editions Montparnasse. Je ne peux pas tous les citer, alors quelques noms quand même pour leur apport, leur passion, leur loyauté et leur … longévité:  Bernard Ragon avec son « double » fidèle, Eric Oyamberry, Victoria Willis, pierre angulaire pendant 17 ans et « metteuse en oeuvre » de la technologie DVD, Vianney Delourme, inventeur dans les années 2 000 de toutes les éditions « intelligentes » et « commerciales », Grégory Devillers, stratège des « niches » commerciales, Marie Ceuzin, convaincue avec moi de la nécessité de défendre cette profession méconnue et qui me permis de créer un syndicat représentatif des indépendants. Il y a ceux qui sont encore là : Fleur Trokenbrock, acharnée à convaincre les journalistes des qualités de telle ou telle édition, Françoise Puyo, toujours là pour que les comptes d’une société demeurent exacts, Angélique Laniesse, que certains de vous connaissent parce qu’elle est l’interlocuteur du public, et enfin Jean-Emmanuel Papagno, responsable du marketing qui a su s’imposer à l’éditorial.  Pardon à tous ceux que je ne cite pas parce que être trop long est une faute, mais je ne vous oublie pas !

Merci encore à vous, public de passionnés. Cette passion, vous nous l’avez montrée, vous nous l’avez écrite, dite, manifestée. Continuez de le faire!

Ce n’est donc pas un clap de fin, c’est pour moi une page qui se tourne. Je suis heureux que cette entreprise continue. Elle aurait pu « tomber » comme beaucoup d’autres. L’entreprise, entreprendre, c’est un bel enjeu humain. Merci à ceux qui continuent et comme dit mon vieux camarade Georges Pernoud en fin de chaque émission de Thalassa: Bon vent !

Le voyage continue pour Montparnasse et pour Carnets Nord (2)

(1) de Joachim du Bellay :

Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !

Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?

Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :

Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la doulceur angevine.

(2) Plus proche de l’Ulysse  d’Homère que de celui de Du Bellay, sans attendre, je continue un autre voyage, celui de l’édition de livres avec Carnets Nord, une jolie maison  que nous avons créée ici avec Montparnasse et qui maintenant détachée de sa mère, va voguer seule vers de nouvelles aventures.

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l’enfer, c’est les autres

Dans l’actualité, rarement heureuse, sauf dans les magazines spécialisés, l’enfer, ce serait les « autres ». Toujours victime, jamais responsable. C’est à cette irresponsabilité que s’attaque, dans un entretien donné à Libération, l’écrivain algérien Kamel Daoud. Kamel Daoud se reconnait-il plus dans Camus que dans Sartre? Il rejette l’idée de « crime contre l’humanité » brandit par un candidat à la présidentielle à propos de la colonisation. Pour lui ce n’est plus le sujet. Les algériens sont responsables de leurs vies, de leurs choix, pas le Passé.

L’enfer justement, il a fait couler beaucoup d’encre. Il reste d’actualité :L’Enfer est pavé de bonnes intentions! Cette maxime d’origine chrétienne entend se méfier des gens qui en voulant faire le bien engendre le mal. Le pire même. Les totalitarismes du XX° siècle avaient pour la plupart l’intention de créer un monde meilleur. Le quotidien Le Monde consacre deux pages à analyser ces mouvements. C’est si convaincant que j’en arrive à devenir prudent devant ceux qui me disent qu’ils font cela pour mon bien.

Nos éditions DVD et Livres sont riches de textes, d’images, de créativité. A vous signaler décidément le coffret de 10 DVD ( 20 films) consacré à 20 grands films. Jules et Jim, Le Mépris, entre autres, quel délice d’intelligence! Produits par Marie Génin et Serge July, réalisés par des amoureux du cinéma comme Antoine de Gaudemar ou Anne Andreu. A voir absolument pour retrouver un « beau » cinéma. Du coté livres, la parution de trois romans, Marguerite de Jacky Durand, un portrait de femme pendant la 2° guerre mondiale, Je ne m’appelle pas Paul Velasquez de Philippe Romon, qui répond à la question , un homme c’est quoi? Et Greenland d’Heinritch Steinfest, un Meilleur des mondes vert inquiétant ou l’on se perd.

Bonne semaine.

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la passion de l’histoire

Je me souviens de Marc Bloch, de L’étrange défaite, de la lumière fulgurante donnée par la pensée de Marc Bloch devant « notre » histoire en marche. Je me souviens d’Hannah Arendt, de son regard sur l’homme de l’autre coté du tribunal dans sa cage de verre pour le « protéger » lui le bourreau, de toute menace. Hannah Arendt face à Eichman à Jérusalem, et là encore une pensée lumineuse que l’on ne peut oublier, La banalité du mal. Je me souviens encore de Frédéric Rossif commentant un jour, pour moi, son époque avec emportement et gravité. De Nuremberg à Nuremberg ou Mourir à Madrid sont les résultats de cet emportement. De très belles vérités et de très grands oublis. De quoi pourrais-je encore me souvenir pour parler de l’Histoire du monde? Des peintures de Lascaux, à la marquise de la Solana de Goya au Louvre qui, elle, me parle tant, aux innombrables et si percutantes œuvres du musées qui disent tant sur la beauté et la violence du monde.

Quel roi aurais-tu aimé être? Question pour l’amusement posée un soir, entre amis. A leur étonnement je choisis Louis XI plutôt que Louis XIV. Louis XI, petit roi de France sans pouvoir face au flamboyant duc de Bourgogne, Charles le Téméraire, bien plus puissant que lui. Louis XI qui va l’emporter, avec son conseiller Olivier le Daim, par la ruse – je me souviens, enfant, de la gravure dans mon livre d’Histoire de France, de ce pauvre et traitre cardinal de la Balue, enfermé dans une cage dans laquelle il ne pouvait pas se retourner, horrible !- Tout n’est pas excusé, mais tout est sublimé par la nature de la mission. Le roi ne ruse pas pour lui, mais pour la France. La France est ruinée, il ne dépense rien, il est pingre, mesquin même. Le petit roi pense la France. Au delà de lui. Après, on peut aimer ou ne pas aimer, cette France. Endosser l’image de Louis XI n’est quand même pas flatteur. La prochaine fois, si je rejoue au jeu des rois, je choisirais Paris vaut bien une messe et  La poule au pot chaque dimanchele bon roi Henri IV et son ministre Sully, du velours!

Des historiens « reconnus » viennent de publier une nouvelle version de l’Histoire de France. Cette histoire n’aime pas beaucoup celle dont je parlais. Elle entend s’appuyer sur une nouvelle approche, un vrai travail scientifique pour refonder notre histoire. Elle dit une nouvelle vérité. Mais pourquoi cette histoire serait-elle plus juste que la version précédente. La prétention même à l’être parce que « juste » enfin, annihile cette prétention. L’apriori guide la recherche, le tri, la mise en perspective. Poitiers n’est plus l’arrêt de l’invasion sarrasine, Jeanne d’Arc est un mythe sublimé et récupéré par des opportunistes, Les Mille et nuits fondent mieux la France que la Chanson de Roland. Entre autres. Pourquoi pas ? Salutaire titre l’éditorialiste d’un quotidien qui enfin a ce qu’il veut. Une histoire a sa pointure.

Chaque époque refait ses mythes selon son penchant idéologique. Dans cette refondation, de l’histoire de France, la conquête et la colonisation de la Gaule par les romains et les germains est un apport formidable – oubli des morts, des viols, etc..- mais la colonisation, la conquête de l’Afrique par les français, ne méritent pas de louanges. Je crois que Marc Bloch, Hannah Arendt avaient pour eux la « vérité » de leur pensée. Ils puisaient cette pensée dans les racines de leur intuition et de leur instinct, ils étaient au-dessus, bien au-dessus d’une mêlée réductrice, ils étaient une idée, pas une idéologie. Ils comprenaient quelque chose de rare, sortis du cœur et de l’esprit. Je vais les relire cette année.

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