« Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité »

Sur le plateau d’Apostrophes, ce 9 octobre 1981, l’écrivain Michel Tournier fait appel à Jean Cocteau, dont il cite souvent cette phrase, en réponse à cette question d’élèves lors de rencontres dans les écoles ou il présente son métier : Monsieur, qu’est-ce qu’il y a de vrai dans cette histoire?

Le mensonge et la vérité dans la littérature, pour ce 249° numéro d’Apostrophes. Voilà l’énigme Romain Gary-EmileAjar, et en invité central, le petit cousin de Romain Gary, Paul Pavlowitch. Voilà le fantôme du premier, suicidé le 2 décembre 1980, convoqué par Bernard Pivot au nom des innombrables lecteurs qui entourent la plus célèbre émission littéraire de la télévision.Le regard noir charbonneux, le profil coupant, la parole à la recherche du mot le plus juste, voilà le faussaire, Paul Pavlowitch, qui pendant 7 ans s’est fait passer pour Romain Gary, a reçu un prix Goncourt pour La Vie devant soi, a été acclamée, alors qu’il était le complice de la plus belle supercherie de l’histoire littéraire.

Je ne vous dévoilerai pas les rebondissements de la pièce dramatique que nous propose ce DVD3 du coffret consacré à 12 émissions d’Apostrophes. Elle tourne autour des questions du grand enquêteur Pivot, du principal témoin, aux allures d’accusé, Pavlowitch, des analyses du psychanalyste Mandel, lui-même auteur d’un livre sur le processus du double, du détenteur des souvenirs intimes de Gary, François Bondy, enfin de celles de Michel Tournier, qui avec les autres membres de cette très vénérable académie, décernèrent, sans le savoir,  au même auteur, le deuxième prix Goncourt de son histoire.

Voilà au 2/3 de l’émission,un bref extrait sur l’homme absent : Romain Gary, dans un Apostrophes de 1975, pour son dernier roman, Au delà de cette limite votre ticket n’est plus valable, pièce à conviction pour le suicide qui interviendra 5 ans plus tard. Lourd visage oriental au teint basané, regard immense sous des paupières tombantes, élégance de séducteur mondain pour ce fils d’immigré juif russe, Compagnon de la Libération, diplomate, prix Goncourt en 1956, pour Les Racines du Ciel. Un auteur abondant, de la Promesse de l’Aube à Lady L., des dizaines de romans qui ne suffirent pas à Romain Gary. Il lui fallait plus.

« Un bon écrivain qui devient sous le nom d’Emile Ajar un grand écrivain, nous prévient Gérard Mandel. Défilent quelques titres d’Emile Ajar: Gros-Calin, Pseudo. Je terminerai par le commencement, cette phrase de Bernard Pivot présentant l’émission: un romancier est un homme qui mène plusieurs vies, pour qui chaque roman est une renaissance ou une mort, et pour qui la création littéraire lorsqu’elle est poussée dans ses extrémités peut mener à des excentricités burlesques ou dramatiques. Apostrophes, 30 ans plus tard, nous donne toujours et encore envie de nous précipiter dans les librairies pour lire, lire et encore lire….

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur « Je suis un mensonge qui dit toujours la vérité »

« Bonsoir à tous, ce soir un plateau exceptionnel pour les livres du mois… »

un « bonsoir » réjouit, un « bonsoir, » gourmand, annonciateur de bonnes choses, un « bonsoir » simple, familier…la musique démarre, qui accompagne le générique. Celle du concerto pour piano n°1 de Rachmaninov. Il n’y en aura pas d’autre pendant environ une heure 15′  d’émission. La musique des mots, de la langue, suffira à enchanter les millions de spectateurs d’Apostrophes qui chaque vendredi soir pendant 15 ans,  attendent: « Ce « Bonsoir » de Bernard Pivot, de janvier 1975 à novembre 1990.

Prenons celle du 9 septembre 1988, une de celles contenues dans le coffret que nous éditons ces jours-ci ( 12 émissions en 6 DVD). Regardez Bernard Pivot présenter ses invités, un placement pensé, un ordre de présentation réglé à l’avance pour que le meilleur en sorte. L’émission est en direct. D’abord à gauche, Tom Wolfe, auteur américain du célèbre « Bûcher des vanités », chiquissime dandy tout habillé de blanc, puis Jean-Marie Gustave Le Clézio, magnifique et buriné de soleil américain, pour « Le Rêve mexicain ou la pensée interrompue.  »

« A ma droite, Claude Lévy-Strauss, de l’Académie française, pour le livre d’entretiens  » De près et de loin », avec Didier Eribon, journaliste au Nouvel Observateur. » Et voilà, que le spectacle commence. Mais que ces mots, le spectacle commence, sont vrais et faux. Vrais parce que Bernard Pivot mène le jeu, maître de ballet impeccable. Faux parce que c’est d’abord un moment de vérité simple, d’attitudes justes. Je ne vais pas vous résumer ici, plus d’une heure passionnante, plutôt vous donnez mes impressions: Bernard Pivot a l’art, l’art de faire parler ses invités, de les mettre à leur aise, mais aussi de les provoquer. Il le fait avec parfois une bonhomie trompeuse. Pour le plus grand bonheur des spectateurs.

Il me fait alors penser à un chat aimable qui contemple sa proie, et lui donne un coup de patte, griffes rentrées: « allons, allons, » semble-t-il lui dire, « c’est bien, c’est même formidable, mais vous oubliez cela« . Devant Claude Lévy-Strauss, ce jour-là, il est tour à tour respectueux et familier. Avec Tom Wolfe, si brillant, si métaphorique, dont le livre nous raconte un New-York devenu une sorte d’enfer, Bernard Pivot joue, tourne les pages, va chercher les onglets ou il a souligné ce qui va nous intéresser. L’Amérique est le journal de demain: le Bûcher des Vanités ne nous annonce-t-il pas la violence ethnique de nos mondes urbains?

Il y a la bonne humeur visible des spectateurs qui ne sont pas la « claque » bruyante, vulgaire et automatique des émissions d’aujourd’hui. Ici personne ne bouge, personne n’applaudit. Les mots seuls comptent: « Le monde indien, c’est le monde de l’amour de la nature » dit Le Clézio, et un peu plus tard:  » quand Mexico a été conquise nous dit Castillo, le second de Cortèz, tous les bruits se sont éteints subitement, plus de cris, plus de roulements de tambour, on entendait le silence résonner en nous », et Le Clézio d’ajouter: « je l’entends toujours ». Miracle des rencontres, Claude Lévy-Strauss et Tom Wolfe l’entendent, et moi aussi je crois l’entendre, aujourd’hui. « Quand les cloches s’arrêtent » ajoute Le Clézio, « on peu entendre aussi cette résonance »..

Ce jour-là, des verres d’eau, pas de cigarette, c’est exceptionnel. Revenons sur ces années 70, 80, sur ces années d’Apostrophes, regardons ces « plateaux » ou alcools et cigarettes sont entre les mains des invités. Cela marque l’époque. Et pourtant, rien d’ancien, de dépassé, de ringard, tout au long de ces émissions. Incroyable réussite du talent et de la passion. Rappel que le beau, le bon n’ont pas d’âge.

 

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur « Bonsoir à tous, ce soir un plateau exceptionnel pour les livres du mois… »

On ne badine pas avec l’amour…(1)

«  tous les hommes sont menteurs, inconsistants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux ou lâches, méprisables ou sensuels. Toutes les femmes sont perfides, artificieuses ou vaniteuses, curieuses et dépravées. Le monde n’est qu’un égout ou les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fanges, mais il y au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits, si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé  souvent malheureux, mais on aime, et quand on est sur le bord de la tombe, on se retourne en arrière, et on se dit : j’ai souffert souvent, je me suis trompé quelque fois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ait vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »

Perdican ( Francis Huster) ne tente plus de convaincre Camille (Béatrice Agenin) de renoncer au couvent et d’oser l’aimer. A la scène 5, de l’Acte II, d’On ne badine pas avec l’amour, Alfred de Musset nous livre une pensée ultime: la condition humaine vaut la peine d’être vécue. Quand à moi je m’émerveille sur la beauté du texte, la justesse de la langue, le jeu vif des acteurs, de cet enregistrement de 1978 par la troupe de la Comédie Française. Impressionnant Francis Huster – il a alors 32 ans, resplendit,- virevoltant Robert Dhéran, fascinant François Chaumette. Si ce n’était une captation d’il y a 35 ans, je vous dirai : courez-y! Mais non regardez-là chez vous, bien au chaud, c’est pas mal aussi, un jour de pluie, admirez la modernité du ton, des sentiments: écrite en 1834, représentée pour la première fois en 1861, voilà un morceau de choix du répertoire de la Maison de Molière.

On ne badine pas avec l’amour fait aussi partie du Coffret Comédie Française que nous éditons sur le répertoire de cette vénérable et prestigieuse troupe: Alfred de Musset, Molière, Montherlant, Feydeau, Marivaux, Giraudoux, Corneille, Regnard, Beaumarchais, Crébillon fils, Paul Ckaudel, Ionesco, Victor Hugo, Edouard Bourdet, Labiche. 25 comédies et drames, qu’il faut prendre un à un, simplement à un moment ou vous souhaitez retrouver une qualité des sentiments, une profondeur des situations, le talent et le génie des auteurs et des acteurs. Un régal!

Publié dans Non classé | Un commentaire

Sur les traces du père…

Le Monde des livres du 18 octobre consacre deux pages à la figure paternelle comme une source d’inspiration…l’un des grands sujets de la rentrée littéraire, riche en romans et récits de filiation. Le Monde décortique ici 5 ouvrages, pour l’essentiel autobiographiques, récits personnels, ou l’analyse se nourrit à travers le style. Pour Belinda Canone, le père c’est le Don du passeur ( Stock)…c’est le portrait de celui qui initie, son père éducateur mais aussi le vieillard inadapté qui lui broyait le cœur. Belinda Canone montre son père tel qu’elle l’a connu. D’une curiosité et d’une générosité infinies…l’écrivain règle ses dettes à l’égard d’un homme qui n’aurait jamais pensé à tenir de comptes, nous dit Raphaëlle Leyris, dans le Monde.

J’aime cette image qu’elle nous donne, figure paternelle non idéalisée, simplement aimée aussi pour ses défauts. Nous sommes là au plus près de la vérité. De notre propre vérité, fils un jour, père le lendemain.

Eric Fottorino, ancien directeur du Monde, avait déjà publié deux ouvrages sur cette étrange histoire, celle de la découverte que son père n’était pas son père. Que celui dont il portait le nom, et qui l’avait élevé et aimé, n’était pas son père, mais lui avait aussi donné le lien de l’amour. Eric Fottorino, retrouvera tardivement son père « naturel », tissera des sentiments si forts qu’il partira seul, à Fès, dans la quartier juif dont était originaire Maurice, né Moshé, alors que celui-ci cloué par la maladie ne peut l’accompagner. Je ne serais pas ton fils, si mes yeux ne voient pas en premier ce que tu as vu en premier, écrit Fottorino  dans Le Marcheur de Fès,( Calman-Lévy).

L’écrivain nous donne par les mots, l’histoire qu’il a vécu en temps réel et qui resurgit sous son écriture. Raphaëlle Leyris, dans son long papier, cherche elle aussi ce qui les anime. Elle cite encore Fottorino, parlant à son père: bien sûr, il existe toutes ces lignes qui me rattachent à toi et aux tiens, à commencer par la ressemblance des traits, certaines attitudes, un léger défaut de prononciation… ça n’empêche pas un sentiment d’étrangeté. Sans doute est-ce le sort et le travers des enfants naturels que de ne jamais se sentir très bien là ou ils sont. Peut-être, celui qui fût et qui reste enfant naturel, par son don d’écriture, peut-il ainsi traduire sa soif de quête, la sublimer. L’écriture remplace ici la folie, ou la psychothérapie, deux voies possibles du monde étrange de la filiation impossible. Il semble encore nous dire que nous ne pouvons être père que si nous avons été fils, fils de…

La folie, c’est ce que nous retrouvons chez Sophocle, ou chez Shakespeare, ou l’impuissance à résoudre le drame familial, crée la beauté tragique. Au XXI° siècle, la littérature et la psychologie font bon ménage pour tenter de déminer les souffrances, et même comme chez ses auteurs de les sublimer. Le divan du psychanalyste, puis la bienveillance du psychothérapeute soulage le mal-être de la transmission: faire le compte de ses héritages et de ses legs, quel programme!

 » Je ne puis demeurer en cet effroi ni, voyant ce que je vois, retenir mes larmes » s’exclame Antigone face au drame. Il n’y a de solution qu’en soi semble-t-elle nous dire encore.

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur Sur les traces du père…

la caverne d’Ali baba,

Une sorte de caverne d’Ali Baba. Des trésors entassés un peu partout, certains visibles, d’autres enfouis, cachés par les accumulations des années passées. Les plus visibles n’étant pas forcément les plus précieux. J’imagine un siècle de production cinématographique à travers la métaphore de cette histoire, qu’en enfant l’on nous racontait. Les « perles » et les « nanars » demandant à être distingués malgré tout, les goûts divers demandant à être reconnus, écoutés. C’est un des enjeux de la dématérialisation : permettre de « montrer » dans sa totalité des dizaines de milliers de films produits de l‘origine à nos jours.

Trop d’offres tue l’offre, disait un grand distributeur qui réduisait impitoyablement les références dans ses linéaires afin d’éviter l’incertitude du consommateur. Ici c’est la même problématique qui se joue. Choix cornélien, l’abondance de la production cinématographique ne trouve plus sa place dans les salles, ni même son financement. Le « blockbuster » est la réponse la plus facile. De même, la page d’accueil du site de Vidéo à la demande met-elle en avant les films du box-office et canalise-t-elle le choix. Le reste étant relégué, loin, si loin, que seuls quelques cinéphiles passionnés y accèdent.  La fameuse « longue traîne », ces dizaines de milliers de films, restant invisibles pour le plus grand nombre.

C’est pour tenter de répondre à ce besoin que les Editions Montparnasse, après plus de vingt ans d’un patient travail d’édition dans le monde physique, lancent sur Internet les Manufactures, http://www.lesmanufactures.fr , sur le concept « un film, un ami », ou vous pouvez vous-même devenir acteur du choix, de la distinction, de la prescription. Oui, un bel enjeu qui est pour nous aussi une passion.

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur la caverne d’Ali baba,

L’actualité à bout de souffle

je vais avouer un péché » mignon » comme on dit de quelque chose de pas grave. Je lis trois, voire quatre quotidiens. Une belle épaisseur qui tache les mains, faite de noir sur blanc, ce mélange d’encre et de papier. Merci Gutenberg!  Une odeur délicieuse pour moi. Des souvenirs qui commencent à remonter loin, auquel se rajoute régulièrement le plaisir du découpage avant que la pile, entassée dans un coin du bureau, ne parte dans la poubelle de papiers. Il me semble que s’exerce dans ce découpage deux fonctions, la première, conserver bien sûr pour un temps plus ou moins long, ce qui devient une archive; mais aussi renforcer par ce geste la mémoire de l’article. Les mots se gravent mieux dans mon cerveau.

Ce plaisir nourrit mon activité professionnelle, mais aussi ma curiosité personnelle, mon désir de suivre ce qui se passe dans le monde. Jusqu’ici rien que de très normal. Mes semblables dans nos métiers, et dans leurs vies, font de même. Alors pourquoi je ressens parfois une sorte de lassitude? L’actualité à bout de souffle? Non puisqu’elle parle du monde au temps présent, que c’est son rôle. Qu’elle le fait comme toujours, bien et mal, avec exagération et justesse. Alexis de Tocqueville, dans De la Démocratie en Amérique, soulignait à la fois sa démagogie populiste et vendeuse, ses opinions flatteuses des idéologies de ses lecteurs – avez-vous vu un quotidien prendre le risque d’aller à contre-courant de son lectorat? – mais aussi au delà de sa médiocrité, dans une démocratie, son rôle essentiel de contre-pouvoir.

Finalement quand ce doute sur son rôle dans nos vies s’installe chez moi, il suffit d’une bonne pause de quelques jours. De revenir avec un œil neuf. Je reprends la presse, lis les titres, ils ont changé, mais le fond reste le même. Le Monde n’a pas changé : violences, catastrophes, misères nourrissent le principal de l’actualité. Nourrissent? un bien grand mot. Le monde va mal. Ne s’arrange pas. Les hommes s’entre-tuent pour des causes ou des croyances qui prônent en général la fraternité humaine. Dans le même temps, ils battent leurs femmes, leurs font porter charges et signes de soumissions: oppressions domestiques, sexuelles. Il y a des statistiques terrifiantes sur le viol et la violence physique. Etre une femme dans le monde en 2013, c’est subir la violence des hommes.

Dans le Monde Occidental, elles ont les mêmes droits que nous, les hommes. Officiellement depuis 40 ans en France. Elles peuvent déposer plainte contre l’homme, mari ou non, qui les violentes, ne les respectent pas. Mais dans les 3/4 du reste de la Planète, c’est inutile, même dangereux pour elles. La loi suit des coutumes religieuses construites par les hommes, qui ont le culot d’affirmer que c’est pour mieux protéger les femmes.

Cela me met en colère. Pourquoi mes quotidiens ne dénoncent-ils pas ces situations? Pourquoi eux aussi restent-ils pusillanimes, voire complices de ces situations. Ils ne sont pas les seuls. Le cinéma, la télévision, les médias occidentaux ne mettent guère en relief les victimes de nos dévoiements mentaux.  Le courage parfois parvient jusqu’à nous de l’intérieur de ces pays. Un réalisateur iranien, une cinéaste saoudienne arrivent à créer, malgré tout, ces bijoux qui nous parviennent. Des miracles, il y en a. Heureusement. L’actualité n’est pas à bout de souffle, c’est le monde des hommes pour les hommes qui l’est.

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur L’actualité à bout de souffle

Allemand, chinois, américain? Quel modèle pour les européens?

les peuples européens ne savent plus à quels saints se vouer, entre la domination allemande, la conquête chinoise, le redressement américain. Quel modèle adopter? Peut-on prendre un peu du meilleur de chacun? La rigueur de nos voisins d’Outre-Rhin, en oubliant les victimes d’un modèle social sans pitié, les excès d’une politique budgétaire défavorable aux européens? Le soutien sans faille de l’Etat chinois à ses entreprises qui injecte argent et protection juridique au détriment des « étrangers »? Ou encore une puissance américaine qui exerce un triomphe planétaire en « laissant faire » l’innovation individuelle? Ici pas d’intervention de l’Etat, si ce n’est pour encourager fiscalement les grandes entreprises, Google, Amazon, Apple, à dévorer le marché mondial des nouvelles technologies. Et la planche à billets du dollar fonctionne pour que la finance soutienne l’investissement.

L’Europe dans tout cela? Il me semble qu’elle ne prend guère en compte les atouts développés par ces grands concurrents. Elle reste timide sur le soutien financier à l’investissement, elle ne protège pas le marché intérieur au nom de la libre-concurrence et du consommateur-roi, elle subit, médusée, la destruction de son environnement social, économique, culturel.

Ce constat déprimant fait, nous pouvons en faire un autre, la nécessité de tourner le dos à des systèmes lancés à toute vitesse vers le précipice d’une Apocalypse décrite par le philosophe René Girard dans Achever Clausewitz, (Carnets Nord/Editions Montparnasse) ou nucléaire, démographie, et environnement se conjuguent pour que notre Monde disparaisse au XXI° siècle. Donc oublions cette course finale, écoutons l’économiste Jérémy Rifkin qui prône une fusion d’Internet et des énergies renouvelables, alors que les énergies fossiles polluantes, de plus en plus chères, jouent une « fin de partie ». Ne nous entêtons pas, dit-il, imaginons un monde ou des centaines de millions de personnes produisent leur propre énergie à domicile, au bureau, à l’usine et la partagent sur un Internet de l’énergie.

Rifkin explique encore dans La Troisième Révolution Industrielle (Les Liens qui Libèrent) comment celle-ci peut créer des milliers d’entreprises et des millions d’emplois. Nous avons trente ans pour mettre en route une autre société sinon notre planète sera invivable pour l’homme avant la fin de ce siècle.

Le 12 juin 2008, le président du parlement européen, Hans-Goert Potetring, dans un discours à la deuxième Agora citoyenne de l’Union européenne prononçait ses mots: La tâche prioritaire de l’Union dans la première moitié du siècle sera- pour citer Jérémy Rifkin-  d' »ouvrir la voie d’une troisième révolution industrielle. » Réduire les émissions de CO2 n’est qu’une partie de la question; l’heure du passage à une économie pauvre en carbone a sonné. Ce sont les piliers de « la troisième révolution industrielle » que Jérémy Rifkin a si puissamment présenté: recours accru aux énergies renouvelables, construction de bâtiments qui produisent leur propre énergie et passage à l’utilisation de l’hydrogène pour stocker l’énergie » .

C’était en 2008, ou en sommes-nous, 5 ans plus tard, de ces intentions? l’Europe doit être audacieuse, oser changer de modèle, oublier ces modèles allemand, chinois ou américain qui sont « dépassés », « meurtriers », « sans avenir ». Mais il y a urgence.

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur Allemand, chinois, américain? Quel modèle pour les européens?

Le nouveau pari des Editions Montparnasse

le titre de l’article du Film Français qui annonce, ce vendredi 6 septembre, le lancement de notre plate-forme de vidéo à la demande, est parfait! Oui c’est bien un pari, un joli pari, un superbe pari, enthousiasmant. Le pari d’abord que vous avez envie de qualité, de culture, de débats, que vous en avez d’abord envie dans vos vies. Que Internet est un moyen de trouver cela, que Internet peut vous permettre de confronter vos goûts, vos envies avec d’autres, vos ami(e)s, vos connaissances de bureau ou d’un dîner. Que notre métier d’éditeur qui est de faire rencontrer les œuvres cinématographiques, audiovisuelles, littéraires, avec vous, spectateur, lecteur, amateur, citoyen, est un enjeu encore plus fondamental pour nous tous, rendu possible par Internet.

Les Manufactures, ces 13 thématiques que nous avons créées dans les réseaux sociaux, et dont je vous avais expliqué le fonctionnement dans mon blog du 1 mai dernier, rencontrent  un succès remarquable, puisqu’en 6 mois, vous êtes 250 000 fans sur Facebook à vous être abonnés, à interagir régulièrement. Mais aujourd’hui nous allons plus loin. Nous ouvrons la plate-forme de visionnage, location et partage de vidéo à la demande, lesmanufactures.fr. Un projet innovant basé sur vos demandes, sur vos envies avec vos amis de mieux connaitre tel ou tel film, document. Un projet qui n’est pas le énième site de distribution de films en ligne, mais bien une proposition d’éditeur.

Avec lesmanufactures.fr, vous pouvez offrir à un(e) ami(e) un film ou un document que vous aimez. Vous le visionnez, et dans le même temps vous l’envoyez, avec un commentaire, vous ouvrez une conversation qui peut s’ouvrir à d’autres via les réseaux sociaux, de profil en profil, les goûts, les qualités, les surprises se partagent: j’aime, voilà pourquoi,...la discussion qualifie le film, le partage associe les ami(e)s à la discussion. Un ciné-club personnel se crée. Pour le plaisir, le jeu, l’enrichissement.

Il y a la richesse de vos envies, celle des catalogues proposés, et encore celle du site lui-même: beau, fluide, varié, ou vous pouvez aussi vous amuser dans les parcours de recherche: manufacture de la mémoire, du regard, du changement, de l’ailleurs, des séries, de l’Europe, du rêve... un clic en haut de page, les œuvres s’alignent sur l’écran dans des tickets-symboles coloriés. Et puis là, vos ami(e)s affichent leurs choix. Vous voulez partager? Un autre clic et c’est parti, la discussion s’ouvre. Tu ne connais pas encore ce film de Guy Gilles? Tu ne sais pas qui est Guy Gilles? Quelle chance tu as de le découvrir, et hop, offrez, le film est proposé à l’ami(e). Qui aura le temps d’accepter ce cadeau, de le visionner, de l’aimer.

Un peu d’indulgence, nous sommes en période de rodage. L’informatique du site est riche elle aussi, compliquée donc. Il y a deux ans de travail de 8 personnes pour vous offrir ce cadeau. Aidez-nous. Dites-nous ce qui ne va pas, et aussi ce que vous aimez. Dans les mois qui viennent vous pourrez visionner les films sur tablettes et mobiles. Dans les mois qui viennent, vous verrez les catalogues se développer, pour votre plus grand plaisir, nous l’espérons. Et le nôtre!

 

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur Le nouveau pari des Editions Montparnasse

la puissance de l’image

Aux Editions Montparnasse, deux sorties de dvd cette semaine sont remarquables et remarquées, la Gifle, the Slap, une mini-série australienne qui montre derrière l’apparence des vies heureuses, l’incroyable complexité de nos sentiments: une gifle, une simple gifle d’un adulte à un enfant dans un pique-nique d’amis comme geste déclencheur d’une réaction en chaîne, une sorte de battement d’ailes du papillon dans l’Atlantique qui crée les conditions d’un ouragan dans le Pacifique. Puissance de l’image, puissance des jeux des acteurs, puissance de la réalisation, de l’écriture. La perfection obtenue nous fait vivre la fiction comme une réalité et introduit dans nos cœurs un trouble : mais cela est-il possible? Cela pourrait-il nous arriver ? Une claque d’un ami à notre enfant pour le punir d’une bêtise entraînerait-elle une telle dévastation de notre environnement ?

L’autre sortie est celle du film-documentaire de Stéphane Mercurio, A l’ombre de la république. L’image finale du film résume parfaitement pour moi ce qu’il a voulu nous dire, son intention. Celle suggérée par le regard du contrôleur des « Lieux de Privation de Liberté » à l’intérieur de la nouvelle prison de Bourg en Bresse. Il est 17 heures 30, l’équipe de jour s’en va, celle de nuit est invisible, les portes des cellules sont fermées, les couloirs sont déserts, des barreaux partout isolent les quartiers, la couleur est vert-glauque, le silence est glacial. L’inhumain est là. Des êtres humains derrière chaque porte fermée. Enfermés. L’émotion est à son comble. L’image nous a amené à n’être qu’émotion. De celle qui personnellement me gagne lorsque j’aperçois une prison. Comment être indifférent à cet enfermement de vies humaines?

Pourquoi suis-je gêné aussi par cette émotion ? L’impression que l’image me guide là où elle veut dans le film de Stéphane Mercurio, que je partage trop bien la dévastation des vies dans La Gifle, que mon libre-arbitre disparaît pour laisser place à l’intention du réalisateur. Dans la fiction, je suis aveuglément l’interprétation – ne jamais se fier aux apparences, le vie est violence, d’abord violence – qu’il nous donne avec tant d’habilité. Dans A l’ombre de la république, je perds une partie de la réalité. Écoutés par leurs visiteurs-contrôleurs, revendiquant sans cesse de meilleures conditions d’existence, les détenus sont devenus des victimes qui n’évoquent jamais les victimes qui les ont amenés là ! L’image créée les limites non seulement du cadre, mais de la réflexion. A un moment seulement en sort-on brièvement, lorsque le surveillant entraperçu rappelle à la caméra qu’il n’a que deux ans de plus que le jeune détenu de 23 ans, et tout à coup d’autres êtres humains, que les détenus et les contrôleurs des « Privations de Lieux de Liberté », envahissent l’image. Hors cadre, et comme malgré lui. Dehors, ils sont aussi dedans, victimes invisibles.

La société de l’image, celle dans laquelle nous baignons de plus en plus, ne nous laisse guère le choix. Elle nous impose sa puissance par l’émotion qu’elle créée. Elle mélange vérité et mensonge. Vérité, ce qu’elle nous montre, mensonge, ce qu’elle nous cache.

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur la puissance de l’image

la mer comme horizon ?

à vrai dire non!  La descente de l’été s’achève sur les bords de l’étang de Vaccarès, en Camargue. Nous n’irons pas plus loin, nous ne verrons pas les bords de mer que nous imaginons surpeuplés. Quelques jours autour d‘Arles, la belle cité aux arènes et au théâtre Antique, aux rues mélangeant maisons nobles du XVIII ème siècle et immeubles de rapports du siècle de Balzac. L’air est à la fête. Les visages sont joyeux, les allures décontractées. L’Ecole royale Andalouse d’Art Equestre de Jerez passe le soir dans les Arènes. Avec des décors de Christian Lacroix, un enfant du pays. C’est époustouflant de beauté et de maîtrise, l’homme et la bête font corps. Les mains et les jambes agissent à la perfection. Les épaules du cavalier indiquent l’effort. Le public est enthousiaste. Nous applaudissons la puissance et la grâce. Le lendemain matin, nous rencontrerons en pleine Camargue, les propriétaires de la manade des Marquises. Ils nous emmènent à un tri de taureaux , 6 à sélectionner pour deux courses du soir dans les villes alentours. La famille entière est à cheval, Paul le patriarche et son épouse, Patrick, le manadier, son fils 9 ans et demi. Sa femme, Estelle, a délaissé le cheval pour nous piloter en voiture. Nous regardons la dizaines de cavaliers opérer avec précision au milieu d’un troupeau d’une cinquantaine de bêtes noires aux cornes dressées.

Estelle, élève en droit à Aix-en-Provence, préparait Sciences-Po, lorsqu’elle a eu le coup de foudre, pour Patrick, pour la Camargue, pour les taureaux. J’admire la justesse de sa position, l’aisance de ses mots dans la description de son métier. Elle est devenue une remarquable manadière. Son beau-père, Paul, ami de Dominguin, d’El Cordobès, du haut de ses 80 ans, nous montre dans son salon les trophées, ceux des taureaux camarguais qui contrairement aux taureaux de corridas ne meurent que de leurs belles retraites lorsqu’ils sont des champions. Chaque année le meilleur taureau de la saison camarguaise est consacré Biou d’or. La manade des Marquises détient des records avec des taureaux aux noms célèbres. Nous évoquons le livre de Simon Casas, la Corrida parfaite, acheté la veille à la belle librairie d‘Actes Sud à Arles – j’y reviendrai un instant- et édité au Diable Vauvert. Paul Laurent a assisté à la prestation de José Tomas le 16 septembre 2012 dans les arènes de Nîmes. C’était une liturgie parfaite, un moment ou tout se rencontrait, le temps, le geste, l’harmonie. Simon Casas a écrit un livre sur une corrida qui n’a pas été filmé, José Tomas s’y refusant. …et vous êtes vraiment obligé d’habiter à Paris? nous demande Estelle,en nous raccompagnant à la voiture,  avec une pointe de commisération pour ces parisiens qui ne savent pas ce qu’ils perdent! Oui, vraiment doit-on habiter à Paris?

Et moi j’entends la passion d’un homme, pour son pays, ses coutumes, les hommes, les chevaux, les taureaux, et je me dis que décidément il faut savoir écouter parler les traditions et s’en souvenir. Belle rencontres, m’étais-je promis. Elles sont nombreuses, la libraire d’Actes Sud, dont j’ignore le nom mais qui me parle de Heinrich Steinfest édité chez nous. J’adore, il est passionnant. Évidement cela fait plaisir. Son rayon polar-thriller est abondant, attirant. Elle connait ses auteurs, aime lire. Comment imaginer que le libraire disparaisse, alors que sa passion et le partage qu’il en fait est si importante pour nous, lecteurs ? Enfin pour terminer ce voyage vers le Sud, comment ne pas partager aussi les passions de Nicolo, qui tient un petit restaurant dans les rues montantes des arènes. Italien d’origine, arlésien d’adoption, il invente ses plats au goût méditerranéen. Goûtez la pastilla de madame Saîd, recette cette fois de la mère de son cuisinier, un régal! et parlez avec Nicolo des herbes qui aromatisent ses poissons. Il est ouvert toute l’année et change sa carte chaque semaine.

En remontant vers le nord, une dernière halte à la guinguette des amoureux sur le lac de Cécélès, près de Montpellier. Les amoureux sont les bienvenus, mais aussi les familles, le baiser devant le lac au coucher de soleil fortement conseillé, l’aimable et jolie serveuse vous apportera un verre de rosé qui, du coin évidemment, enchantera vos papilles.  La route buissonnière nous fera faire une dernière étape immortelle, celle d‘Albi, de la cathédrale Sainte-Cécile, tout en rose de pierres, farouchement dressée vers le ciel. Là encore après l’avoir admirée- c’est pour moi une des constructions » spirituelles » les plus impressionnantes que je connaisse- engouffrez-vous dans le marché couvert, et stoppez pour un bel instant à la Loge au grain. Le rôtisseur, en plus de ses poulets parfaitement cuits et de ses irrésistibles pommes de terre légèrement aillés, vous propose de délicieux plats qui viennent de ses voisins du marché. C’est fin, frais, pas cher, et servi avec l’amabilité bourrue et sincère des gens du cru.

Voilà, ce tour en France s’arrête. Depuis deux jours j’ai repris, comme bien d’autres, à Paris quelques activités nourrissantes. Je ne suis pas allé bien loin, à Bali ou ailleurs, à des heures exotiques d’avion. Non je suis resté chez moi.

Merci à Jacques Malaterre qui m’avait donné une introduction auprès des Laurent chez qui il a tourné Carmen.

 

 

 

 

Publié dans Non classé | Commentaires fermés sur la mer comme horizon ?