Celui de Jean-Emmanuel Papagno :
J’avais vingt ans à peine lorsque je me confrontais pour la première fois au Septième sceau. Je me souviens d’une salle poussiéreuse, d’un ciel pluvieux qui se confondait sans pareil à la grisaille urbaine. Une décennie plus tard, je m’enfermais à nouveau dans une salle obscure bien décidé à affronter la grande faucheuse de face, tel ce preux chevalier en tête à tête avec la mort. Non, tu ne m’auras pas ; du moins pas maintenant. Une œuvre magistrale et profonde dont on ne sort pas indemne, une digestion difficile, un questionnement permanent. Un acteur (Max von Sydow) au jeu époustouflant et tous ces jeunes gens, acteurs et figurants dansant avec la mort. Quel effroi mais quelle virtuosité, quelle force de la mise en scène. Il pleuvait encore ce jour là.
Ce que j’ignorais cependant, c’est l’occasion qui allait m’être donnée de mesurer une fois encore la force et l’immense talent de Bergman par la diffusion d’une œuvre méconnue et délaissée jusqu’alors. Au seuil de la Vie, un titre évocateur, couronné de succès au Festival de Cannes par le prix de la mise en scène et le prix collectif d’interprétation féminine. Un film qui récompense ses réalisateurs et ses actrices, l’alchimie était parfaite. Et pourtant… L’histoire bien facétieuse en décida autrement. Après sa glorieuse apogée cannoise, ce film devait rester l’ombre de lui-même, au panthéon de ces œuvres fulgurantes et maudites. Il faudra donc attendre plus d’un demi-siècle pour que les Editions Montparnasse réhabilitent dignement ce chef-d’œuvre, comme ces légendes qui se dessinent à titre posthume. Si loin du Septième sceau et pourtant si proche. La même force de mise en scène dépourvue de tout artifice, la même justesse de ton, le même Max von Sydow. Ces trois femmes laissées pour compte dans une maternité de Stockholm, seules face à leur sort. Bergman cerne leurs visages, les illumine au beau milieu de la nuit, scrute et explore chacun de leurs traits pour mieux saisir la joie ou l’inquiétude qui précède ce moment si important qu’est la naissance d’un enfant. Un véritable hymne à la vie. Et comme pour mieux illustrer le propos, c’est un soleil radieux qui eut la bonne idée cette fois de s’inviter à la projection.
A suivre…