Les plus anciens des lecteurs de ce blog peuvent se souvenir de La France défigurée, cette émission de télévision de la fin des années 70 ( de l’autre siècle évidemment) qui dénonçait chaque semaine la destruction du patrimoine et du paysage. Zones pavillonnaires ou industrielles, ZAC, hypermarchés aux périphéries des villes, panneaux publicitaires en pleine campagne, châteaux d’eau surplombants le paysage, pilonnes électriques, l’émission de Michel Péricard et Louis Bériot avait l’audace de s’en prendre à toutes les institutions, maires, conseillers généraux, ministres, aux puissants, groupes immobiliers, patrons d’hypermarchés etc… l’émission a duré quelques années, puis a disparu. Elle était trop dérangeante, elle allait trop contre les croyances du Progrès, de la modernité, de la croissance.
Près de 40 ans plus tard, les ravages de ce progrès n’en finissent pas. Le bitume progresse, recouvrant les terres agricoles. Les hypermarchés ont tué les centre villes avec la complicité active des maires, les ZAC s’étendent sans cesse, le plus souvent sans créer d’emplois, les autoroutes, qui nous permettent d’aller si vite ( comme le TGV), polluent par le bruit et la coupure qu’elles infligent à la nature, et maintenant s’y ajoutent les éoliennes, monstres si bien dépeints par Jean-Christophe Ruffin dans son Voyage à Compostelle, et surtout aujourd’hui, les entrepôts de logistique. Ces derniers, de plus en plus gros, de plus en plus nombreux, recouvrant aux portes des villes ou en pleine campagne, des terrains stratégiques pour distribuer, stocker, et créer toujours plus de croissance et de profits. Recouvrant des terres agricoles, de la bonne terre,nourricière.
Et l’essentiel dans tout cela? La nature, le champ, le bois, les arbres, les animaux, les oiseaux, le silence, la beauté, le regard, l’air que l’on respire, le silence de la nature qui se nourrit de bruits « naturels », ce silence qui n’est jamais rien, qui donne à l’homme le sens de sa vie passée, présente et future ? Des écrivains ont parcouru ce pays, citons après Ruffin , Sylvain Tesson sur Les chemins noirs parcourant la France, racontant la destruction, les ravages de l’industrialisation.
L’autoroute a remplacé le Voyage avec un âne de Stevenson. Aller vite, détruire vite, consommer plus, toujours plus. Quelques jours en Périgord m’ont rappelé encore plus la nécessité de stopper cette course démente et stupide. Je lisais qu’en trente ans, 80% des insectes avaient disparu, je cherchais les oiseaux qui ne se comptaient même plus sur les doigts de la main. Et puis je voyais passer tout à coup, précédés de leurs cris, des vols de grues, là haut, à quelques centaines de mètres. Je sentais leur liberté, leurs efforts, je regardais- nous regardions, éblouis, les grands oiseaux, leurs ailes déployées, battant vers le sud, vers l’Afrique, les bords du fleuve Sénégal. Je regardais ce miracle, celui qui vivait encore d’une migration: vol en V, vols solidaires, ou l’une succédait à l’autre pour mener la tête, ou l’effort était scandé par le cri qui se répondait, relayant la route de la vie.
Là, dans le bois proche de la maison, il restait celui de la chouette, le soir alors qu’une demie lune ouvrait, dans les arbres, une éternité. Jusqu’à quand? Je voulais être optimiste. Je me disais que la nature l’emporterait toujours, quelque soit la folie de l’homme…