Les entretiens d’intellectuels ont (presque) tous le même décor. Installé confortablement dans un fauteuil ou dans un siège plus fonctionnel de bureau, l’intellectuel est environné de livres. Des étagères, une bibliothèque, des rangées de livres, souvent bien rangés, des couleurs et des tailles différentes.
Dans la ville, constituée au long des siècles, les urbanistes ont l’expression, peu poètique à vrai dire, de « dents creuses », pour parler des décrochements des immeubles ou des maisons d’une rue. Ils donnent à ces « dents creuses » une signification très vivante, celle d’une architecture des hommes. La bibliothèque reflète aussi cette maturation lente. Pas un décor pour rien, plutôt le sentiment d’une pensée construite au fil des lectures, donc du temps.
Il semble qu’il y ait ici comme un fil tendu entre la mémoire, le langage et l’objet.
Celui-ci comme référence de l’intellectuel. L’objet, le livre qui enrobe et présente le texte, aurait une fonction bien au delà de la seule lecture. J’aime l’imaginer sans fétichisme : conserver ou jeter, prêter ou donner, oublier ou encore comme ici, dans la bibliothèque, bien présent. Une géographie précise de la vie de l’interviewé. Pas celle de l’apparence – bien que cela existe aussi- mais d’une carte du sentiment, des désirs, des idées.
Que se passe-t-il dans la dématérialisation, dans ce fichier qui conservera de manière indifférencié des milliers de textes, romans, essais, documents etc?.. Que deviendra ce fil invisible avec le visible? comment construirons nous cette mémoire?
Sociologues et philosophes se penchent déjà sur la question. Elle est passionnante et indispensable.