On ne parle plus que de cela. Il obscurcit la rentrée littéraire, bouscule l’agencement des tables des libraires. Les médias en font leurs choux gras. Son titre est trompeur : Merci pour ce moment, qui trahit si bien la vie intime de deux êtres. L’auteur se venge de l’infidélité et choisit de tuer l’autre. Les extraits lus, montrés, vont du ridicule à l’ignoble. Que dire encore du dégoût qui s’empare devant cet « événement »? Nous sommes en enfer. La tragédie n’est pas antique, si elle est humaine – et encore, elle aurait pu le tuer d’un coup de revolver puis s’empoisonner, cela aurait eu de la gueule !-. La vengeance poursuivra son auteur, dépassée par son acte. Quand à moi, je n’ajouterai pas un euro et une minute de lecture à ce si joli « coup » d’édition. Tu es jaloux, me jette un confrère! Non, décidément non.
Le paradis, on le rencontre à la lecture du Royaume d’Emmanuel Carrère, encensé par la critique. Lecture réjouissante, fascinante. Audace de l’écrivain qui rend haletante une histoire connue et aujourd’hui oubliée ou méprisée par nombre ( en Europe, mais pas en Afrique, ni en Amérique) des enfants de ceux qui crurent longtemps en elle. Ici il s’agit des premiers temps du christianisme, de notre Histoire , puisque cette religion est fondatrice de nos valeurs, y compris chez le mécréant Voltaire ou dans la Déclaration des Droits de l’homme : Liberté, égalité, fraternité, des mots nés il y a 2 000 ans. L’exploit de Carrère, le Je, qui déambule entre Paul et Luc sur les bords de la méditerranée orientale, est cette familiarité personnelle avec cette croyance naissante. Des croyants pourront y voir la négation du dogme, la plupart retrouveront le mystère de la Foi qui ne demande pas d’explications, les autres, incroyants, curieux, découvriront un passionnant récit, la force inconnue et mystérieuse des origines du Christianisme. (1)
La folie Gary. Romain Gary-Emile Ajar. Nous connaissons le caméléon, écrivain, diplomate, deux Prix Goncourt, 7 pseudos, le héros, pilote de guerre sans peur, Compagnon de la Libération, l’homme toujours toute sa vie enfant de sa mère. Et voici que Gallimard, pour célébrer le centième anniversaire de sa naissance, publie deux ouvrages: Le Sens de ma vie, un entretien réalisé en 1980 par Radio-Canada, quelques mois avant son suicide. En le lisant, je le vois, le séducteur vieillissant, le beau pirate slave, tournant et retournant le sens de sa vie. Il me touche infiniment. Il est l’excès même de la vie : force et désespoir. Fou de la vie, qui écrit à 19 ans un texte, Le Vin des morts, refusé alors par tous les éditeurs. Robert Denoël accompagne son refus d’une analyse de la Princesse Mathilde, élève de Freud : ce texte est l’œuvre d’un malade. Publié aujourd’hui pour la première fois, ce livre rejoint non pas l’enfer, mais le purgatoire, celui que nous montre Gary dans un récit violent et sombre, cru et sanglant : Dans un cimetière, les humains en décomposition continuent de vivre sans répit, ni pitié. En attendant quoi? Comment un si jeune homme a-t-il pu imaginer ce monde au-delà et ici? Ou est Gary aujourd’hui ?
(1) avec quand même une interrogation sur 6 pages, de 390 à 396, qui me semblent vraiment relever d’un autre livre, à venir peut-être!