Sous les trois pruniers, qui ont bien donné de quoi faire une vingtaine de pots de confitures et deux ou trois tartes succulentes- je dois dire que ma préférence va aux prunes violettes, au goût plus prononcé, que les reines-claude jaunes si sucrées- alors que les amis enfin peuvent dire ça y est, les vacances sont là, bien méritées, la conversation roule sur l’actualité laissée à Paris. L’ami algérien, kabyle pour être plus précis, il y tient, évoque la rupture du jeune de ce vendredi. » le ramadan vient d’une époque ou la ville, le village, se mettaient en sommeil, sans problème. La guerre, le travail, s’effaçaient devant le jeune « sacré ». Tout dormait. Aujourd’hui, dans nos sociétés modernes, c’est impossible. Ne pas s’écrouler sur son ordinateur, garder les yeux ouverts en livrant des pizzas à midi, sont des défis quotidiens. » Chrétien pratiquant, admirateur des rites, observateur du carême, l’autre ami défend l’idée que c’est aux hommes de s’adapter. Mais il est vrai, dit-il que le carême, observance encore plus ancienne que le ramadan, codifie le « maigre » le « frugal », donc laisse une alimentation suffisante pour continuer une activité humaine. »
Juifs, chrétiens, musulmans, des règles qui viennent de quarante jours dans le désert!
Nous n’y sommes pas ici, voici les produits du terroir que je vous ai préparés? nous dit notre hôtesse. Sans mentir, tout était bon, juteux, et encore simple, du vin de Bergerac accompagnant un pâté paysan périgourdin, fruité et râpeux, des fromages secs venant du Jura et d’Auvergne, Comté et Salers vieux, une bénédiction! Dans le cochon tout est bon, ajoutait-elle en déposant un saucisson maison et en éclatant de rire, vos rites sont aussi ceux de l’hygiène des pays chauds. Ou cuire ne suffisait pas. Ici on sait tuer le cochon et ne rien gâcher.
De notre poste d’observation sur la colline, nous pouvions contempler, à presque perte de vue, la France, inouïe de beautés, entendre le chant de la terre, busard planant au-dessus de sa proie, lançant son cri aigu, écho des voix du village plus bas, ou de la moissonneuse-batteuse rassurante sur l’activité humaine. Cela nous paraissait irréel. Nous avions oublié les drames d’hier, les violences qui ne cessaient, l’angoisse du monde. Nous avions un instant de répit et nous en profitions.
Lectures d’été en cours, la quadrilogie de Philippe Roth, édité chez Quarto, à peine achevée, me trottait dans la tête. L’Amérique est le journal de demain, a-t-on coutume de dire: La Pastorale américaine, J’ai épousé un communiste, la Tâche, et l’étonnante politique fiction-rétrospective sur le danger totalitaire en Amérique, écrits fin 90, sur les dernières soixante dix années américaines, n’annonçaient rien de bon. La puissance du style et l’imagination descriptive, « houllebecquienne » nous disait notre amie, cuisinière hors pair et esprit curieux, rendait mieux compte de l’évolution de nos sociétés que n’importe quelle enquête sociologique, faite de statistiques et d’entretiens serrés. C’est la force du talent de l’écrivain. Il nous montre la réalité mieux qu’un autre.
Plus tard, j’imaginais les chemins tout autour convergents vers Compostelle et me régalais avec le récit de Jean-Christophe Ruffin, Immortelle randonnée, Compostelle malgré moi, best-seller inattendu de l’année. Un voyage d’aujourd’hui à travers le temps et l’esprit.