je vais avouer un péché » mignon » comme on dit de quelque chose de pas grave. Je lis trois, voire quatre quotidiens. Une belle épaisseur qui tache les mains, faite de noir sur blanc, ce mélange d’encre et de papier. Merci Gutenberg! Une odeur délicieuse pour moi. Des souvenirs qui commencent à remonter loin, auquel se rajoute régulièrement le plaisir du découpage avant que la pile, entassée dans un coin du bureau, ne parte dans la poubelle de papiers. Il me semble que s’exerce dans ce découpage deux fonctions, la première, conserver bien sûr pour un temps plus ou moins long, ce qui devient une archive; mais aussi renforcer par ce geste la mémoire de l’article. Les mots se gravent mieux dans mon cerveau.
Ce plaisir nourrit mon activité professionnelle, mais aussi ma curiosité personnelle, mon désir de suivre ce qui se passe dans le monde. Jusqu’ici rien que de très normal. Mes semblables dans nos métiers, et dans leurs vies, font de même. Alors pourquoi je ressens parfois une sorte de lassitude? L’actualité à bout de souffle? Non puisqu’elle parle du monde au temps présent, que c’est son rôle. Qu’elle le fait comme toujours, bien et mal, avec exagération et justesse. Alexis de Tocqueville, dans De la Démocratie en Amérique, soulignait à la fois sa démagogie populiste et vendeuse, ses opinions flatteuses des idéologies de ses lecteurs – avez-vous vu un quotidien prendre le risque d’aller à contre-courant de son lectorat? – mais aussi au delà de sa médiocrité, dans une démocratie, son rôle essentiel de contre-pouvoir.
Finalement quand ce doute sur son rôle dans nos vies s’installe chez moi, il suffit d’une bonne pause de quelques jours. De revenir avec un œil neuf. Je reprends la presse, lis les titres, ils ont changé, mais le fond reste le même. Le Monde n’a pas changé : violences, catastrophes, misères nourrissent le principal de l’actualité. Nourrissent? un bien grand mot. Le monde va mal. Ne s’arrange pas. Les hommes s’entre-tuent pour des causes ou des croyances qui prônent en général la fraternité humaine. Dans le même temps, ils battent leurs femmes, leurs font porter charges et signes de soumissions: oppressions domestiques, sexuelles. Il y a des statistiques terrifiantes sur le viol et la violence physique. Etre une femme dans le monde en 2013, c’est subir la violence des hommes.
Dans le Monde Occidental, elles ont les mêmes droits que nous, les hommes. Officiellement depuis 40 ans en France. Elles peuvent déposer plainte contre l’homme, mari ou non, qui les violentes, ne les respectent pas. Mais dans les 3/4 du reste de la Planète, c’est inutile, même dangereux pour elles. La loi suit des coutumes religieuses construites par les hommes, qui ont le culot d’affirmer que c’est pour mieux protéger les femmes.
Cela me met en colère. Pourquoi mes quotidiens ne dénoncent-ils pas ces situations? Pourquoi eux aussi restent-ils pusillanimes, voire complices de ces situations. Ils ne sont pas les seuls. Le cinéma, la télévision, les médias occidentaux ne mettent guère en relief les victimes de nos dévoiements mentaux. Le courage parfois parvient jusqu’à nous de l’intérieur de ces pays. Un réalisateur iranien, une cinéaste saoudienne arrivent à créer, malgré tout, ces bijoux qui nous parviennent. Des miracles, il y en a. Heureusement. L’actualité n’est pas à bout de souffle, c’est le monde des hommes pour les hommes qui l’est.