Le bocage à la nage

C’est le titre du dernier roman d’Olivier Maulin ( Balland), un régal d’humour et de non-politiquement correct. Et si aujourd’hui, je vais lui emprunter quelques lignes poétiquement incantatoires, c’est pour parler d’agriculture plutôt que de culture, pour approfondir ce qui nous sépare de l’idée de progrès ( la tête à l’envers évidement), donc des conflits européens, des mauvais consensus ( la PAC, pourquoi?), et verser quelques larmes rétrospectives. Alors allons d’abord avec ce long emprunt au livre de Maulin. Pages 156 et 157, accrochez-vous, cela se passe aujourd’hui en Mayenne, du coté de Laval :

« Les haies, joyaux du bocage! Elles sont larges de plusieurs mètres constituées de chênes plusieurs fois centenaires, de charmes, de peupliers, de saules et d’ormes dont on fait les bois de charpente. On en émonde quelques uns pour favoriser la croissance des rejets et du feuillage. Certaines d’entre elles sont de petits témoignages de la forêt primaire que l’on a conservés lors des grands défrichements du Moyen Âge. Quand elles sont composées d’arbres fourragers, elles apportent, en plus du gîte, un complément pour l’alimentation des animaux sauvages. On y trouve des fruits et des baies, des noisettes, des prunelles et des mûres ainsi que des plantes médicinales. Le passereau, la fauvette, le bouvreuil, l’alouette lulu, la grive musicienne, la tourterelle des bois y nichent de même que la rainette arboricole, le lézard vert, la couleuvre à collier et la chauve-souris. Il y a la haie naturelle constituées d’espèces variées; la haie basse, taillée; la haie vive, large et touffue, sauvage, cinq à six espèces d’arbustes choisis pour leur feuillage, leur floraison et leurs fruits. Un peu de chèvrefeuille parfume le tout; la haie composite brise-vent, de plus de trois mètres de haut, qui protège les cultures. Toutes ces haies millénaires qui ont façonné le paysage furent une réponse magistrale de la sagesse des anciens à la dégradation et à l’érosion des sols. Elles apportaient en sus le bois de chauffage, abritaient le bétail, protégeaient des vents froids, amélioraient l’alimentation des nappes phréatiques, favorisaient la diversité de la vie. Mêlées aux talus et aux mares, elles ont créé le bocage, ce paysage d’équilibre. »

et là le Progrès arrive:  » Las, comme dit Péguy, l’époque est venue de ceux qui font le malin. De ceux qui considèrent qu’être né en dernier est un gage de supériorité. De ceux qui regardent le passé avec un petit sourire paternaliste. « Sil’on supprimait les haies, on gagnerait de la surface agricole »,pensèrent les malins en clignant de l’œil. Il y eut les remembrements intensifs, la destruction des haies subventionnée par l’Etat, le comblement des mares, l’assassinat des grenouilles rieuses et des tritons crêtés, l’agrandissement des parcelles et la monoculture; là ou l’on cultivait dix espèces, il n’en resta plus qu’une qu’il fallut inonder de pesticides pour éviter les maladies que toute culture unique appelle. Le résultat ne se fit pas attendre : ruissellement, érosion, inondations, cours d’eau pollués, disparition des poissons, appauvrissement des nappes phréatiques, assèchement des zones humides, disparition des oiseaux, prolifération des vers et des insectes nuisibles, utilisations de la chimie, là encore pour s’en débarrasser. Quinze millions d’hectares remembrés. Un million cinq cent mille kilomètres de haies arrachées ( sur deux millions!). Des destructions irréversibles. L’équilibre écologique ancestral brisé à tout jamais. Du vandalisme vendu sous le nom de progrès. De la bêtise crasse et orgueilleuse. « 

Fin de longue citation. A pleurer. Monsieur le Ministre de l’Education nationale, vous tenez là votre dictée de rentrée! Monsieur le Président de la Commission de Bruxelles, vous avez là votre prochain voyage, le Bocage, ou vous pourrez contempler un dernier carré de vie pas encore détruit par « la bêtise crasse et orgueilleuse ». Quand à nous lecteurs, nous savons pourquoi il faut décidément changer de point de vue.

 

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