En Une de Libération, ce vendredi 16 novembre, Joseph Anton-Salman Rushdie. Depuis les Versets sataniques, publié en 1988, qui lui valut une fatwa de l’ayatollah Khomeini, l’équivalent d’une condamnation à mort, Salman Rushdie vit entouré de gardes du corps. Je regarde la photo qui barre la Une. Certes il a vieilli, 25 ans déjà, sa barbe, presque un bouc, est blanche. Mais le regard en coin, si malicieux, est toujours le même. Surtout les propos sont là, encore plus justes, acérés, précis. Salman Rushdie décrypte notre monde à travers son expérience d’homme poursuivi, de citoyen sans préjugés, d’écrivain à la plume libre.
Il est l’invité d’honneur du quotidien autour de la sortie de cette autobiographie sous le titre Joseph Anton, une autobiographie. Il raconte sa vie depuis ce jour de 1988 lorsque un journaliste lui annonce qu’il a l’insigne honneur d’être l’objet de cet appel de Khomeini aux musulmans du monde entier: « tuez-le, ou qu’il se trouve ». La haine le poursuivra désormais, changera sa vie. Longtemps caché dans un lieu tenu secret, il vit maintenant à New-York, plus libre mais toujours protégé. Une célébrité dont il aurait bien aimé se passer. Mais les propos montrent que le temps l’a surtout rendu plus fort, plus indépendant.
Il écarte le politiquement correct. L’écrivain indien, originaire de Bombay, est issu d’une famille musulmane : ma grand-mère, très conservatrice aurait été horrifiée à l’idée qu’une de ses petites filles soient voilées. Ma mère n’aurait jamais accepté cela. Le voile est clairement un instrument d’oppression. Je comprends qu’en Occident, dans certaines communautés musulmanes, ce soit pour les jeunes filles un moyen d’affirmer leur identité. Mais si je peux encore citer ce philosophe discrédité qu’est Karl Marx, c’est ce qu’il aurait appelé « la fausse conscience« . Si l’on fait ce choix, qui est une contrainte dans le reste du monde, on est complice d’une telle situation.
Sa pensée s’écarte encore du consensus occidental sur le « Printemps arabe » j’étais optimiste l’année dernière, et cette année je suis dans le doute. Ce doute il l’exprimera plus loin: livrer des armes à l’opposition syrienne?(…) je partage l’inquiétude sur l’arrivée de militants d’Al-Quaeda (…) La Syrie pourrait devenir une autre base islamiste, encore plus dangereuse que l’Afghanistan. (…) De ce que j’entends, le nouveau leader de l’opposition se présente comme une personnalité religieuse modérée; (…) Quand j’entends les mots « personnalité religieuse modérée », moi, je trouve cela louche.
A l’heure, ou l’Occident, la France en tête, s’apprête à soutenir les livraisons d’armes à l’opposition, le rappel de l’Afghanistan est utile. En 1980, alliés aux saoudiens et aux égyptiens, les américains ont armé les moudjahidines, les futurs talibans. Cette fois-ci c’est le Quatar qui est derrière l’opposition, le même Quatar qui arme le Hamas à Gaza. Et les frères musulmans en Libye et en Egypte.
Mais Salman Rushdie est d’abord un écrivain. L’autobiographie se travestit en un personnage, Joseph Anton, ce qui lui permet d’employer la troisième personne pour décrire sa vie. » ...je me suis rendu compte , avec la publication de Joseph Anton, qu’on vit dans un monde ou la « non-fiction »a le dessus, ou les gens lisent de moins en moins de romans. Ce qui me désole, car la fiction et les pouvoirs de l’imagination m’intéressent beaucoup plus. » Il y a pour moi, la traduction d’un bouleversement sociologique peu analysé. La biographie, l’auto-fiction ne traduisent-ils pas un désir de ne pas s’embarrasser de la complexité de l’âme. On va au plus direct, au plus rapide. On perd la subtilité apportée par l’imaginaire, le travail de l’écrivain. Un écrivain anglais de la première partie du 20° siècle, Charles Morgan, disait à propos de la vie: l’art, l’amour, la mort sont les fondements de la vie de mes personnages. Belle définition.
Sur la discussion sur le voile, je vous renvoie à mon blog: L’air du temps (3) et fin.