Alors que des millions de français et d’européens vont se passionner pour cette compétition qui se tient en France, tous les journalistes et les lecteurs de l’Equipe devraient se précipiter sur une remarquable et indispensable collection Regards sur le Sport. Six DVD que proposent les Éditions Montparnasse. Réalisée par Benjamin Pichery pour l’INSEP, avec des entretiens de François L’Yvonnet, elle fait parler des philosophes autour du sport. Tous, de Michel Serres à Michel Onfray en passant par Boris Cyrulnik, Paul Ariès et bien d’autres, ont un rapport personnel avec une pratique sportive. Leur enfance connut le football, le cyclisme, le rugby, le cross… Ils en parlent aujourd’hui en pratiquant, ex-pratiquant, en philosophe. Passionnant!
Dans un précédent blog sur cette série documentaire, j’avais évoqué l’amour d‘Alain Finkielkraut pour le football, emmené par son père au Parc des Princes, mais aussi sa désolation pour ce que ce sport était devenu: « L’athlète grec réalisait sa propre nature. La valeur essentielle était l’harmonie, l’équilibre. l’homme moderne ne vit pas dans l’élément de la nature. Il vit dans l’histoire. Le culte de la beauté, de l’accomplissement cède la place au culte de la performance. (…) Trop vite, trop haut, trop fort! Nous ne faisons plus progresser l’humanité par le record, nous entrons dans le post-humain ou les athlètes deviennent les cobayes de cette post-humanité. A chacun son analyse, différente mais qui convergent toutes vers le même point. Le sport a totalement changé, pour les uns en deux ou trois siècles, pour les autres, en un demi-siècle, embarqué par les médias et l’argent dans une course suicidaire.
Je vous parlerai aujourd’hui du film avec Robert Redeker, auteur également d’un livre paru aux éditions du Rocher, L’emprise du sport. Son regard sur le sport est aussi celui d’un « sauvageon » du sport et de la philosophie. Sauvageon, ce terme il se l’applique lorsque adolescent pratiquant intensément le cyclisme et le cross-country, seul, dans une campagne du sud-ouest: je m’arrachais les tripes tout en me récitant du Spinoza ou du Descartes. C’est comme cela que j’ai appris un rapport entre la philosophie et le corps, en sauvageon. Adepte aussi du rugby et du football, il avoue ne plus s’intéresser au football, continuer à aller voir passer le Tour de France. Sa critique du sport, de la compétition sportive est radicale: dans la compétition, il n’y a pas d’amis. L’équipe est solidaire pour gagner, mais dans le même temps le véritable ennemi c’est l’équipier qui comme vous veut les faveurs du public. Il n’y a pas de place pour tout le monde. Deux ou trois seulement gagneront ses faveurs et l’argent qui va avec. Au fond, nous le voyons bien dans l’actualité ou les déclarations fracassantes de certains ne manifestent que cette haine, et cette envie. Tous ces joueurs gagnent beaucoup trop d’argent. La corruption de la FIFA nous écœure, et pourtant cela continue, sans que personne ne stoppe cette course folle, dévastatrice.
Robert Redeker fait une démonstration magistrale de la dérive du sport de masse, du parallèle entre performance sportive et performance capitaliste. Ce sport détruit, au lieu de construire. Il développe l’individualisme, là encore parallèle avec le libéralisme affairiste. C’est un crime de critiquer le sport, cela vous classe dans les anti-modernes, nous sommes dans l’impensé, dans l’incritiqué. Au comptoir du café, c’est l’emprise sur l’âme et la convivialité, l’emprise de qui va gagner. Des millions? Mais les jeux du cirque ont toujours existé. Aujourd’hui, ils ont simplement nom Jeux olympiques, Coupe du monde de football, Euro? Regardez cette série, regardez Robert Redeker, c’est intelligent, lumineux, décoiffant. Regardez et écoutez ces philosophes, vous verrez autrement la compétition sportive, et les joueurs!
Voir aussi le DVD : Allez le stade- Batteux, l’homme du match ou l’histoire d’un club, celui de Reims, d’homme, Raymond Kopa et Albert Batteux, entre autres. Les années 50, une autre époque!