Chaque matin, je passe de la rive droite de la Seine, ou j’habite, à la rive gauche où je travaille, en passant par la passerelle des Arts. Chaque matin, je regarde à gauche et à droite, ces vues admirables, éclairées par le soleil levant, quand il n’est pas caché par les nuages ou la brume. Chaque matin, je sens la vie, sa beauté, – les nuages, la pluie, certains matins, le givre glissant sur les planches du pont, ou le vent renversant.- Ajoutons pour ceux qui ne connaissent pas l’endroit que ce pont ou passerelle des Arts enjambe la Seine entre la cour carrée du Louvre, rive droite, et l’Institut et sa coupole dorée, rive gauche, vers Saint Germain des prés…
… les balustrades du pont croulent sous les cadenas des amoureux du monde entier, petits cadenas ornés de cœurs, des prénoms, d’une date. Les touristes photographient les souvenirs de leurs passages ici- et là le smartphone révolutionne décidément nos comportements- et je comprends pourquoi ils sont là, même si je préfère le matin, cet endroit pas encore submergé.
Chaque matin donc, je traverse la passerelle, je m’arrête à mi-course, au milieu de la Seine, ce fleuve qui raconte Lutèce avant Paris. Et je regarde à gauche, cette image inouïe, du bateau immobile, bateau de pierre élancé, dont la poupe laisse s’écouler les eaux séparées plus haut par sa proue, qui de là ou je suis n’est que proue fendant les eaux, effet d’inversion parfait. Bateau de pierres accumulées par des hommes soulevés par la grâce, celle qui édifia la cathédrale que j’aperçois derrière les ponts et les bords séculaires. L’histoire de Paris s’efface pour moi devant le beauté lumineuse du matin. L’ile de la Cité, comme sa sœur, l’ile Saint-Louis, rattachée aussi par la pierre, redevient une ile entre ciel et terre, portant une vision du monde, l’idée d’une création sauvage et civilisée.
Chaque matin, je reprends mon chemin avec le sentiment d’avoir eu un moment privilégié, celui que mon regard a pu rencontrer ici, qu’il retrouve dans d’autres lieux, d’autres instants- dans le même registre,un soir de la semaine dernière sortant du métro à Saint Germain des prés pour reprendre ma bicyclette alors qu’éclatait l’Angélus de la belle église de la place, la beauté encore me saisissait-oui, je me dis souvent que le luxe n’est pas ce qu’on entend nous faire croire.
Le laid comme le beau sont là à portée de notre regard.