Dans la Croix du 15 juin, le titre de l’interview du philosophe grec Stelios Ramfos donne le ton. Et me semble particulièrement éclairant. Son analyse nous permet de comprendre que la Grèce appartient à un autre monde que le nôtre, l’européen ou la raison tempère le sentiment, ou l’individu reconnait la présence bénéfique de l’Etat dans notre organisation. « La Grèce n’a jamais eu de Renaissance. Elle n’a pas connu les Lumières. La domination ottomane a prolongé le Moyen Age. Nous sommes des archaïques. Les grecs sont incapables de voir l’intérêt commun. » Stelios Ramfos confirme des propos de mon blog précédent sur la longue marche de l’Europe: »l’argent facile ( de l’Europe) a servi à améliorer le sort des proches sans se préoccuper du bien commun. »dit-il. Je disais en parlant de la Grèce en faillite: Qu’a fait l’Europe lorsqu’elle a mis en place l’euro pour construire une gestion de l’argent »
Ne pas nier les différences, comprendre l’irrationalité avant de vouloir imposer le rationnel. « Ce n’est pas une question d’économistes. Il faut dire à la troïka de s’entourer d’anthropologues, de philosophes et de commencer par réformer l’éducation en Grèce. » Stelio Ramfos ajoute que l’orthodoxie joue un rôle clé: « l’orthodoxie, la chrétienté d’Orient a profondément forgé les mentalités comme à Chypre, dans les Balkans et en Russie. Ne pas comprendre la Grèce, c’est ne pas comprendre le continent européen de Chypre à Vladivostok. Pour comprendre la Grèce, il faut lire Dostoïevski. »
« Il y a une convergence avec le dogmatisme communiste. Ce n’est pas un hasard si nous avons encore un parti communiste stalinien » La mémoire courte -ironie de l’histoire- l’absence du sens de la démocratie- deuxième ironie de l’histoire- le poids des sentiments- oh, Grèce de Platon, d’Aristote mais encore des dieux et de la tragédie- voilà ce qui pour Stelios Ramfos sont les caratéristiques de son peuple: « en lieu et place de l’avenir, nous menons un combat entre le bien et le mal. » Les grecs, personnages du roman dostoïevskien.
Alors les grecs peuvent-ils conserver l’espoir ? Le philosophe ne cache pas sa crainte: C’est ce que j’appelle « le risque Maghreb », la tentation de s’installer dans le prémodernisme pour l’éternité, dans un présent immobile, le présent des ascètes, des soufis, de la prière et non pas celui de l’action. Or la prière aurjud’hui doit être créative et non pas passive. » La victoire du parti d’extrême gauche Syriza serait celui de la régression. Du passé le plus sombre. Pour moi qui pense que l’Europe se fondera d’abord sur la culture, que l’économie ne devrait être qu’un moyen au service des hommes, et pas comme c’est le cas, le contraire. Que l’Europe actuelle est en crise pour avoir inversé ses valeurs.
Que cet entretien parait révélateur: notre force apparente est notre faiblesse réelle: elle méconnait les peuples et leur culture. La démocratie athénienne opposée au village global. L’Europe des banquiers, de l’OMC et du FMI aux irréductibles grecs. Le désordre somptueux des iles greques face aux côtes turques dévastées par la promotion immobilière. A-t-on laissé aux peuples européens le choix de leur destin ?
Dans le même journal, réconfortant portrait d’un homme superbe, le comédien Jean Piat, 87 ans, qui tous les jours au Théatre de Paris, seul sur scène fait sien le texte de Vous avez quel âge? à lire, à voir.